Dre Indira AMORIM ARAUJO | médecin-cheffe de service de soins palliatifs - RHNe
Le projet de soins anticipé.
Développé dans les années 90, le projet de soins anticipé ou ProSA (dénomination romande pour l’advance care planning) est un processus de réflexion et de communication autour des valeurs et des souhaits d'une personne concernant des questions de santé futures, et ses préférences en matière de soins dans le cas où elle deviendrait incapable de discernement. Il s’agit d’une discussion entre le patient et les professionnels référents du domaine de la santé, avec ou sans la participation des proches, qui permet de clarifier et de documenter ces décisions sous la forme de directives anticipées qui peuvent être adaptées lorsque cela leur semble approprié.
La capacité de discernement est la capacité d’un individu à comprendre une situation donnée et les options qui s’offrent à lui dans cette situation, à évaluer les conséquences de chaque option, ainsi qu’à finalement décider laquelle d’entre elles choisir. Elle est présente ou absente pour un objet précis à un temps donné.
Cette planification dépend de nombreux facteurs, notamment le contexte culturel, la religion, le niveau d'éducation, le type de personnalité, l'âge, les expériences personnelles de vie et de mort, le cadre juridique local et l'état de santé de la personne.
Les personnes âgées polymorbides et les malades souffrant de pathologies chroniques sont particulièrement sujets à la survenue des événements aigus qui menacent leur capacité de discernement. En soins palliatifs, il est d’autant plus pertinent que les souhaits soient discutés en amont.
Pourtant la planification anticipée de soins n'est pas réservée qu’aux personnes très âgées ou malades. À tout âge, un évènement inattendu peut nous rendre incapable de communiquer nos décisions en matière de santé. Lorsqu'une personne ne peut plus exprimer ses souhaits, les professionnels de soins ou d'autres personnes (par exemple, les membres de la famille ou un curateur) sont contraints de prendre des décisions qui peuvent différer des souhaits du patient.
Lors de ce processus, plusieurs sujets peuvent être abordés comme la réanimation cardio-pulmonaire, le don d’organes, des gestes chirurgicaux, l’alimentation et hydratation par sonde, ainsi que les décisions de fin de vie telles que le début ou l'arrêt d’un traitement ou le contrôle des symptômes par la sédation palliative.
Depuis l’entrée en vigueur de la révision du droit sur la protection de l’adulte le 1er janvier 2013, les directives anticipées sont explicitement ancrées dans le droit fédéral. Selon ces règles, le médecin traitant doit respecter les directives anticipées, à moins qu’elles n’enfreignent les dispositions légales ou qu’il existe des doutes fondés sur le fait que les directives ont été établies sous influence ou contrainte ou sur le fait qu’elles reflètent encore la volonté présumée du patient. Plus les directives anticipées sont claires, mieux elles pourront être mises en œuvre.
Les directives anticipées doivent être établies par écrit, datées et signées. La capacité de discernement du patient doit être préservée au moment de son élaboration. Afin de rendre la démarche plus accessible aux patients en état d’autonomie réduite, la signature seulement doit être manuscrite. Il est très utile qu’un représentant thérapeutique soit nommé et que ses coordonnées y figurent. Par représentant thérapeutique nous entendons la personne choisie par l’auteur, à qui il confie la représentation de ses volontés. Un remplaçant peut aussi être désigné au cas où la personne désignée en premier n’est pas disponible.
L’auteur peut donner à son représentant des instructions concrètes mais il peut aussi se limiter à laisser ce dernier décider à sa place le moment venu. Le pouvoir du représentant thérapeutique n’est reconnu qu’à partir du moment que le patient n’a plus sa capacité de discernement. Il a le droit d’accéder à toutes informations auxquelles le patient aurait accès.
En absence de capacité de discernement du patient et sans représentant thérapeutique désigné, nous devons nous référer au Code Civil, qui hiérarchise clairement les priorités :
- La personne désignée dans les directives anticipées ou dans un mandat pour cause d’inaptitude;
- Le curateur qui a pour tâche de la représenter dans le domaine médical (portée générale)
- Son conjoint ou son partenaire enregistré, s’il fait ménage commun avec elle ou s’il lui fournit une assistance personnelle régulière;
- La personne qui fait ménage commun avec elle et qui lui fournit une assistance personnelle régulière;
- Ses descendants, s’ils lui fournissent une assistance personnelle régulière;
- Ses père et mère, s’ils lui fournissent une assistance personnelle régulière;
- Ses frères et sœurs, s’ils lui fournissent une assistance personnelle régulière;
Le rôle de représentant thérapeutique ne peut pas être imposé. Il faut que la personne se sente capable d’assumer le moment venu et de de transmettre les souhaits du patient, même si ce souhait ne serait pas son propre choix dans une situation équivalente.
S'il existe un conflit entre les proches, ou un doute si les décisions transmises respectent véritablement l’intérêt du patient, l'autorité de protection de l’adulte (APEA) peut être saisie. L’APEA peut aussi être saisie si le patient n'a pas de proche, ou qu'ils refusent de le représenter, afin de désigner un curateur.
Il peut y avoir des circonstances où les souhaits du patient ne pourront pas être suivis à la lettre, notamment quand les volontés ne sont pas claires, quand elles ne respectent pas le cadre légal ou la déontologie médicale.
Les médecins ne sont pas tenus, d'un point de vue éthique, de fournir des traitements qui, selon leur jugement professionnel, n'ont pas de chance raisonnable d'apporter un bénéfice au patient. De même, lorsque toute intervention visant à prolonger la vie d'un patient devient futile, les médecins ont l'obligation d'orienter les soins vers le confort. Dans ces cas de figure, le représentant thérapeutique doit être informé, et les raisons du refus doivent être consignées dans le dossier médical. Quand l’impossibilité dérive de questions de l’ordre de la conscience du soignant, dans la mesure du possible, un autre soignant doit être affecté ou un transfert dans une autre unité/institution doit être envisagé.
En cas de désaccord sur l'efficacité et l'utilité du traitement entre le personnel et le patient et/ou son représentant, une médiation par une commission d’éthique peut s'avérer nécessaire.
Voici les étapes suggérées pour l’élaboration du projet de soins anticipé :
- Stimuler le patient à réfléchir à ses valeurs et à ses souhaits.
- Discuter des directives anticipées
- Si la personne n’est pas prête à discuter de traitements ou de décisions de soins spécifiques, essayer de parler des préférences en termes généraux et approfondir progressivement la discussion.
- Proposer qu’il choisisse une personne de confiance comme représentant thérapeutique.
- Stimuler le patient à discuter avec cette personne de ses préférences.
- L’aider à choisir le formulaire le plus adapté à ses besoins ou à rédiger lui-même son document
- Stimuler le remplissage et signature des directives anticipées
- Partager ces informations, avec l’accord du patient, à tous les prestataires impliqués dans sa prise en charge.
- S’assurer régulièrement que le contenu des directives anticipées reste valable. Les préférences en matière de traitement ainsi que les personnes choisis comme représentants peuvent changer au fil du temps.
Les éléments le plus souvent décrits comme difficiles à aborder sont les instructions médicales pour les cas d’urgence. La réanimation, l’intubation, l’admission aux soins intensifs et le recours à des mesures artificielles de maintien de la vie. L’amélioration de la communication entre professionnels, patients et proches rend plus facile la prise de décision des équipes d’urgences au sein des hôpitaux, services mobiles et réseaux de soins communautaires, lorsqu’il s’agit d’intervenir sur la base de ces documents. Dans le cas où une condition n’est pas prévue dans les directives anticipées, et que le délai d’intervention est compatible, le représentant thérapeutique est invité à se prononcer afin d’assurer que la réponse apportée soit le plus en accord possible avec les volontés présumées du patient.
Certaines études ont montré que le ProSA améliore de manière significative de nombreux résultats, en particulier pour les patients atteints d'une maladie grave. Il s'agit notamment de :
- Des taux plus élevés d'élaboration de « directives anticipées »
- Réduction des hospitalisations en fin de vie
- Le taux de traitements intensifs en fin de vie
- Utilisation accrue des services de soins palliatifs
- Une probabilité accrue que le décès ait lieu dans l’endroit de choisi (80% des patients aimeraient pouvoir finir leurs jours à la maison)
- Une plus grande satisfaction à l'égard de la qualité des soins reçu, en lien une prise de décision partagée, et une meilleure préparation sur ce à quoi s'attendre au cours du processus de mort.
- Une diminution du stress, de l'anxiété et de la dépression chez les proches
- Réduction du coût des soins de fin de vie sans augmentation de la mortalité
D’autres études sont moins catégoriques sur l’impact du projet de soins anticipé dans la prise en charge.
Ces échanges réguliers permettent au patient de choisir l’itinéraire thérapeutique que convient au mieux à ses attentes et rendent les proches et les professionnels plus attentifs à ses réels besoins.
Avant de commencer tout traitement médical, il convient d'obtenir le consentement éclairé du patient ou de son représentant thérapeutique. Il peut être plus difficile d'arrêter un traitement médical que d'en commencer un. C’est pour cela que la possibilité d'arrêter un traitement médical s'il n'est plus bénéfique pour le patient doit être discutée au préalable.
Les symptômes peuvent être traités par des traitements orientés vers la maladie et/ou vers le confort. Si un traitement orienté vers la maladie est considéré comme futile, les mesures de soins visant à contrôler les symptômes doivent être poursuivies et, si nécessaire, intensifiées.
Le refus conscient de soins ou de traitements indiqués sur plan médical ne configure pas l’absence de capacité de discernement. Cela peut être tout simplement l’expression de la volonté et des priorités de la personne.
Il est important de souligner qu’un un refus à la réanimation de la part du patient ou du corps médical n'affecte pas les autres traitements, jugés appropriés à un moment donné, tels que la chimiothérapie, la chirurgie, les antibiotiques et les soins de soutien.
Pour favoriser une bonne communication, l'environnement doit être adapté à la conversation, avec suffisamment de temps prévu pour discuter. Si le patient est d'accord, la famille ou le représentant thérapeutique peuvent être présents lors de cette discussion.
Le plan de soins anticipé n’est pas un acte isolé. Son élaboration est un processus qui demande du temps et plusieurs moments d’échange pendant tout le parcours d’une maladie.
Lecture recommandée :
Directives médico-éthiques élaborées par la Commission Centrale d’Éthique de l’ASSM :
- La capacité de discernement dans la pratique médicale (2019)
- Décisions de réanimation (2021)
- Attitude face à la fin de vie et à la mort (2018, adaptées en 2021)
Code civil suisse
Art. 370 : Droit du patient d’établir des directives anticipées
Art. 371 : Forme et contenu des directives anticipées
Art. 372 : Devoir de questionner l’existence et de respecter, dans la mesure du possible, les souhaits exprimés dans les directives anticipées
Art. 377 : Devoir d’information au représentant thérapeutique
Art. 378 : Ordre de représentation en cas de non-désignation préalable d’un représentant thérapeutique
Art. 379 : Cas d’urgence
Art. 381 : En cas d’absence de représentant thérapeutique ou conflit dans l’entourage.
Références :
ESMO Clinical Practice Guidelines on palliative care: advanced care planning D. Schrijvers1 & N. I. Cherny2, on behalf of the ESMO Guidelines Working Group* Annals of Oncology 25 (Supplement 3): iii138–iii142, 2014 doi:10.1093/annonc/mdu241
Definition and recommendations for advance care planning : an international consensus supported by the European Association for Palliative Care. Rietjens JAC, Sudore RL, Connolly M, et al. Lancet Oncol 2017;18:e543-51;p. e5491
Projet de soins anticipé ou advance care planning - Proposition d’une terminologie commune pour la Suisse romande, Bosisio F., Fassier T., Truchard E., R. Pautex S., Jox R. J., Rev Med Suisse, 2019/662 (Vol.5), p. 1634–1636.
UpToDate - Advance care planning and advance directives, recherche du 12.03.2023