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Dr Christian Bernet | Médecin-chef, Equipe Mobile en Soins Palliatifs BEJUNE
Tél : 032 913 44 07 | Mail : | www.emsp-bejune.ch
Mes remerciements à Fabienne Wyss-Kubler, secrétaire générale de l’ANEMPA, pour sa relecture attentive et ses commentaires éclairants.

Soins palliatifs en EMS - rôle du médecin répondant ?

Les établissements médico-sociaux sont simultanément des lieux de soin et des lieux de vie. Ces institutions sont en général les lieux de la dernière partie de la vie. En effet on estime actuellement la durée moyenne de séjour en EMS à deux ans et demi, avec une médiane d’environ un an, ce qui est peu à l’échelle d’une vie humaine (OFS 2023). En outre, dans le canton, ils sont le lieu de constat d’environ 35 % des décès annuels. Ces quelques notions montrent à quel point les EMS sont des institutions où (de façon consciente ou non) la pratique des soins palliatifs généraux fait partie du quotidien.

En octobre 2021 le Conseil d’Etat a émis un arrêté modifiant le règlement sur l’autorisation d’exploitation et de surveillance des institutions (RASI). Parmi les nouveautés dans ces modifications, figure l’obligation pour les EMS, en vigueur dès 2024, d’avoir un-e médecin répondant-e identifié, une personne référente en soins palliatifs dans l’équipe soignante, et d’inclure dans le projet institutionnel un « concept de prise en charge et d’accompagnement en matière de soins palliatifs »[1].

Le rôle du médecin répondant d’EMS n’est pas standardisé, et dépend des contrats/accords de collaboration établis avec les institutions. De manière générale, on pourrait toutefois le décliner en deux rôles (ou « chapeaux ») différents :

Premièrement, le médecin répondant est le référent médical de l’institution et de sa direction. Il est chargé de l’organisation médicale globale de l’institution et la conseille pour les questions d’ordre médical. Il est parfois chargé de l’élaboration de divers protocoles ou de la formation continue des collaborateurs, ainsi que de la cohérence des soins médicaux entre les différents services (rôle « méta »).

Deuxièmement il est le maillon (le pair) intermédiaire, ou personne de contact, entre l’institution et les autres médecins intervenant auprès des résident-e-s de l’institution. Idéalement pas seulement lors de malentendus ou différents (rôle « contact »).

Par ailleurs, une troisième dimension importante intervient lorsqu’il devient de facto le médecin généraliste des bénéficiaires n’ayant pas de médecin traitant, ou n’ayant pas voulu / pu garder le leur après leur entrée en institution (rôle « traitant »). Ce volet n’est pas couvert à proprement parler par la nouvelle législation précitée mais il prend une dimension majeure par son inévitable articulation avec les deux autres, imbrication qui voit le praticien assumer à la fois la responsabilité de médecin répondant auprès de l’EMS et celle de médecin traitant des personnes âgées que ce dernier accueille.

Revenons aux soins palliatifs en déclinant à nouveau ces divers rôles et ce qui serait attendu de ce-cette professionnel-le en la matière :

Dans le rôle « méta », il devrait être activement impliqué dans l’élaboration, ou les mises à jour, du concept de soins palliatifs de l’EMS et, en collaboration avec la direction des soins et la personne référente en SP, dans son application dans le fonctionnement et la vie de l’institution. Ceci peut également comprendre l’élaboration de protocoles de soins spécifiques (antalgie par exemple), ou la réflexion avec les pharmaciens répondants sur les médicaments injectables nécessaires dans les stocks institutionnels pour faire face aux situations de fin de vie.

Dans le rôle « contact », il devrait contribuer à expliciter ce concept SP aux collègues intervenant régulièrement dans la structure, ainsi qu’être attentif aux retours des équipes sur certains points d’incompréhension en terme de prise en charge afin de pouvoir les clarifier avec eux. En tant qu’intervenant de l’EMSP il m’arrive en effet régulièrement de constater un décalage entre l’équipe soignante de l’institution et le médecin traitant sur la compréhension du caractère palliatif d’une situation ou sur l’adhésion à certaines attitudes (en matière d’hydratation sous-cutanée par exemple) alors qu’une discussion ouverte sur le sujet permet généralement de trouver aisément un consensus.

Dans le rôle « traitant », au vu du grand nombre de situations palliatives rencontrées en EMS, il est bien sûr attendu quelques compétences en médecine palliative, et donc d’y consacrer une part de sa formation continue. Pas seulement en termes de gestion de symptômes par ailleurs, mais également dans la collaboration interprofessionnelle avec les équipes, et dans la communication avec les proches sur des sujets parfois difficiles.

J’aimerais illustrer mon propos en abordant deux thématiques qui, dans ma pratique, sont fort récurrentes dans le contexte des soins palliatifs en EMS.

La première thématique concerne les prises de décisions médicales en fin de vie. En effet la « densité » des fins de vie dans ce contexte rendent très fréquents les questionnements qui viennent « chatouiller » le terrain de l’éthique. Les sujets sont multiples, de la déprescription médicamenteuse à l’arrêt / poursuite / instauration d’une alimentation « artificielle » (« to PEG or not to PEG ? ») en passant par la prescription de traitements sédatifs ou la décision d’une hospitalisation. Les situations où une « bonne » solution n’est pas évidente, et où il faut donc chercher la « moins mauvaise », favorisent des clivages dans les équipes et/ou des tensions avec les proches. Il faut alors discuter et rediscuter avec les uns et les autres, peser les arguments et les valeurs sous-jacentes, aborder des représentations parfois tenaces, et essayer de trouver un consensus qui ait du sens pour le bien de la personne concernée.

Ces démarches sont fortement facilitées si l’institution y a réfléchi à l’avance (au travers du concept de soins palliatifs) et si le personnel est préparé à leur occurrence. Le ou la médecin répondant-e sera une personne centrale dans la démarche institutionnelle (rôle « méta »), et bien sûr dans le processus (dans le rôle « traitant », et parfois dans le rôle « contact »).

Il faut rappeler ici la pertinence d’un regard extérieur si on n’arrive pas à avancer (par exemple celui du psycho-gériatre consultant de l’EMS, de l’EMSP, ou de toute autre ressource mobilisable).

La seconde thématique est celle de l’anticipation. En font partie (en amont) les directives anticipées et le recueil du projet de vie des résidents. Nous avons en général l’habitude d’agir en réaction aux problèmes identifiés. Quand une personne âgée en EMS présente des signes de « virage » vers une péjoration de l’état général (apparition de troubles de la déglutition, baisse rapide de l’autonomie puis état grabataire, troubles de la conscience, état confusionnel p.ex.) en l’absence de cause réversible indentifiable (infectieuse p.ex.) il devient bien sûr clair que l’évolution sera défavorable, quelle qu’en soit la durée. Il importe alors d’anticiper les risques de complications, voire de crise, et de prévoir tant des médications en réserves à disposition pour les soignants que des entretiens avec la personne et ses proches sur l’évolution de la situation. Le faire sans attendre permet tant de clarifier les objectifs thérapeutiques que d’éviter de devoir agir dans l’urgence cas échéant.

Un point important, pouvant paraitre banal, est d’anticiper la perte de la possibilité de prendre les traitements per os, et prévoir des alternatives par d’autres voies (sous-cutanée, transmuqueuse, ou rectale)[2].

Là encore, un-e médecin répondant-e aura un rôle à jouer, à la fois dans une attitude institutionnelle (formalisation de l’identification de ces situations et des suites à y donner, ainsi que sensibilisation et formation des équipes) et dans l’activité médicale propre, ainsi que dans la communication avec les collègues.

Les deux thématiques évoquées précédemment impliquent un investissement en temps non négligeable. Si tout ceci semble chronophage, mon expérience personnelle est que ce temps, s’il est investi précocement, est un investissement rentable : que de temps et téléphones épargnés par la suite !

Pour rappel : l’EMSP BEJUNE est à disposition pour toute situation difficile ou complexe, ou posant question.

Pour information : L’association pour le développement des soins palliatifs (ADSP) BEJUNE vient de mettre en ligne un guide « Planifier et mettre en œuvre un projet institutionnel de soins palliatifs généraux en EMS - pistes de travail ». Ce document cible les directions d’institutions, mais peut nourrir le rôle « méta » des médecins répondants en EMS. Il est librement disponible à l’adresse internet sp-ems.adsp-bejune.ch

En guise de conclusion, je voudrais insister sur l’importance des médecins répondants pour une bonne coordination des soins, et pour le développement d’une culture palliative explicite et interprofessionnelle dans les institutions médico-sociales. Une approche palliative des soins montre une efficacité certaine sur la qualité de vie et le confort des bénéficiaires, et permet d’éviter certaines hospitalisations, pour le plus grand bénéfice de tous.

[1] Voir les articles 32a, 33 et 35as de ce document qui, quasi poétique et évoquant Prévert, peut être téléchargé sur le site de l’Etat.

https://www.ne.ch/legislation-jurisprudence/pubfo/ArrRegCE/Documents/2021/FO42_03_2021_10_20_DFS_2102_ACE_modifiant_RASI.pdf

[2] Il est toujours étonnant de constater à quel point ces complications arrivent fréquemment le soir ou le week-end, au mépris de toute probabilité.

Quelques rappels pratiques sur les opioïdes

Les divers opioïdes disponibles en Suisse sont, statistiquement et à doses équivalentes, similaires en termes d’efficacité antalgique et d’effets secondaires (les argumentaires sur des E2 moindres des uns ou des autres sont purement marketing).

Le fentanyl et la buprénorphine sont les opioïdes de choix (« sûrs ») en cas d’insuffisance rénale modérée à sévère. Leurs métabolites éliminés par voie rénale sont inactifs, et donc sans risque de créer une neurotoxicité par leur accumulation. (La méthadone est également non dépendante de la voie rénale, totalement éliminée par voie biliaire, mais plus complexe d’utilisation).

En cas d’insuffisance hépatique modérée à sévère, on privilégiera la morphine ou l’hydromorphone, sous forme rapide et PAS retard (métabolisme entièrement par glucuroconjugaison, qui est la dernière voie touchée quand le foie dysfonctionne) mais en diminuant la fréquence d’administration (4x/j) et les doses (jusqu’à la dose minimale efficace). Le fentanyl est également un choix possible (bien qu’en partie métabolisé par le CYP3A4, les quelques études pharmacologiques faites ne montrent pas d’augmentation des taux sanguins en cas de cirrhose Child C).

Chez la personne âgée, en cas de fonction rénale « limite » ou d’instauration prudente d’opioïdes, il est légitime de prescrire de petites doses de morphine rapide en solution seulement 4x/j (aux 6 h). Le risque est d’avoir une perte d’antalgie en fin de dose, et alors il faut ré-augmenter la fréquence de prise à 6x/j, mais ce n’est constaté que rarement (chez des « métaboliseurs rapides » ?). Cette couverture antalgique plus longue que prévue usuellement est attribuée à l’effet d’un des métabolites de la Mo (le M6G), qui a aussi un effet agoniste sur les récepteurs Mu, et est éliminé plus lentement par les reins vieillissants.

Il est intéressant de constater qu’un des opioïdes les plus prescrits est l’oxycodone, qui cumule l’inconvénient des métabolites neurotoxiques éliminés par voie rénale, et un très fort potentiel d’interactions pharmacodynamique (CYP3A4, 2D6 principalement).

Il est contrindiqué de mêler la buprénorphine aux autres opioïdes. Son effet agoniste/antagoniste sur les récepteurs Mu, et sa forte affinité pour ces R, entrainant un fort risque de contrecarrer l’effet des autres opioïdes.

Il est contrindiqué de mêler des opioïdes avec composante sérotoninergique (i.e : le tramadol et le tapentadol) à des antidépresseurs sérotoninergiques purs (tous les SSRI) en raison du risque de syndrome sérotoninergique. Si le Syndrome Sérotoninergique classique (avec risque d’évolution vers un décès rapide) est assez rare dans la pratique, il existe chez la personne âgée des formes à bas bruit, insidieuses, qui ont une réelle répercussion sur la qualité de vie de la personne (et peuvent mimer l’évolution d’une démence, un peu rapide cependant).