V. Della Santa, médecin-chef du département des urgences, RHNe |
COVID, saison 2 : retour d’expérience aux urgences
Introduction
Après une première vague déjà évoquée dans un précédent SNM-News qui a mis les équipes d’urgences sous tension en raison d’adaptations de fonctionnement quasi quotidienne et du tribu payé au virus dans le département (env. 15% du personnel infecté lors de la première vague et 10% lors de la 2e vague), en ajoutant à cela des multiples incertitudes et craintes liées à un virus inconnu, les services d’urgences se sont trouvés dans une situation paradoxale de renforcement nécessaires de leurs capacités d’accueil en mars, suivie, après le pic du 31 mars 2020, par une période étrangement calme avec une activité abaissée de 25%. La 2e vague qui en a surpris beaucoup par sa brutalité a tenue, elle, toutes ses promesses en terme de gestion de crise au quotidien, personne ne s’attendant à devenir l’épicentre européen de l’épidémie en automne 2020.
La 2e vague
Lors de l’accalmie de l’été 2020 des débats eurent lien entre les alarmistes d’une 2e vague et les rassuristes, comme dans la société civile en général. Tout le monde s’est mis d’accord toutefois pour maintenir un dispositif de veille avec des points d’état-major hebdomadaires au minimum en restant flexible et réactif en cas de montée en puissance nécessaire. Les problématiques logistiques du printemps semblaient réglées, les stocks de matériels suffisant et le personnel médico-soignant avait appris à appréhender les « patients COVID » avec plus de sérénité. Des discussions avaient eu lieu au niveau supra-cantonal pour discuter d’une répartition des patients nécessitant des lits ventilés sur le territoire national en cas de résurgence virale afin de diluer un maximum la charge de patients lourds entre les cantons, les tessinois et romands ayant été notoirement plus impactés que les suisse-allemands. Avec la rentrée scolaire, le mois de septembre s’écoulant, des alertes de plus en plus inquiétantes se faisaient jours contrastant singulièrement avec les planifications du conseil fédéral prévoyant une réouverture des manifestations de plus de 1000 personnes d’ici à début octobre. L’état d’esprit des équipes est morose, la première vague et les diverses restrictions liées à la pandémie ayant eu un impact non négligeable sur les corps et les esprits. Dans ce contexte un soutien actif de l’équipe du CUP (defusing hebdomadaire en équipe) aura été précieux lors de cette 2e vague.
Ainsi, quand la 2e vague semble s’annoncer début octobre, la motivation et la solidarité de mars 2020 accompagnée des applaudissements le soir et des dizaines de kilos de chocolats reçus pour nous soutenir semblent bien loin. Celle et ceux qui ne savaient pas à quoi ressemblait une courbe exponentielle l’ont ressentie alors dans leur chair au quotidien avec des chiffres d’hospitalisations qui prennent l’ascenseur (figure 1) : 6 patients hospitalisés dans le RHNe (SI compris) le 6 octobre, 13 le 12 octobre, 27 le 19 octobre, 51 le 22 octobre, 91 le 30 octobre, 123 le 6 novembre, 157 le 12 novembre et 167 au pic d’activité le 15 novembre sans compter une 15aine de patients transférés à la Providence qui sert d’hôpital de transition pour les patients COVID stables avant un retour à domicile ou un CTR et quelques 20 patients intubés ou ventilés en non-invasifs transférés hors canton entre fin octobre et mi-novembre, au plus fort de la vague, malgré l’augmentation de 400% de notre capacité en lits ventilés au RHNe.
Pour les urgences le problème va rapidement devenir l’insuffisance de place aux soins intensifs et en unité de ventilation non invasive en aval avec des journées parfois quasiment monothématique « détresse respiratoire avec suspiçion COVID » chez des patients qui ne peuvent manifestement pas simplement attendre sur des sièges de salle d’attente.
Tant sur les sites de Pourtalès (figure 2) que de Chaux-de-Fonds (figure 3), les services sont « zonés » en espaces COVID, non-COVID et suspects COVID avec une extension des zones COVID jusqu’à mi-novembre, le non-COVID devenant la portion congrue de notre activité.
A Pourtalès la salle d’attente doit même être transformée en salle d’attente couchée avec oxygène (photo 1) et sur les deux sites les voies vertes et maisons de garde sont « externalisées » au 6e étage à la Chaux-de-Fonds et dans le hall central à Pourtalès qui subit également une délocalisation des zones de tri pédiatriques et adultes (photo 2 et figure 4).
Ces dispositifs permettent de libérer le maximum de chariots ou lits aux urgences pour accueillir les patients couchés nécessitant une oxygénothérapie, en attente d’orientation dans le système hospitalier.
Parallèlement à tous cela les équipes sont mises à rude épreuve en raison d’un absentéisme important lié cette fois-ci non à une contamination sur le lieu de travail mais plutôt au niveau familial et dans la communauté. Des astreintes à domicile doivent être édictée et organisée au niveau infirmier et médical afin de pouvoir palier, au jour le jour, aux absences dues aux maladies mais également aux quarantaines et autres isolements incessants.
Du côté de l’équipe des médecins cadres 2 piquets supplémentaires sont mis en place (pour une période de 2 mois), à savoir pour les 3 médecins cadres supérieurs des astreintes COVID 24/24h pour régler les problématiques tactiques concernant le flux des patients sur les 2 sites de soins aigus et pour tous les médecins cadres une astreinte supplémentaire 24/24h pour les transferts médicalisés « lourds », la REGA n’étant pas forcément à disposition tout le temps en automne et au début de l’hiver en fonction de la météo.
Pour libérer des forces vives au niveau médecin cadre il est décidé, en coordination avec la Providence et Montbrillant, de fermer la polyclinique de Montbrillant afin de transférer les médecins de Montbrillant à la Providence et ainsi de libérer les urgentistes RHNe qui supervisent habituellement la polyclinique de la Providence (novembre et décembre 2020).
La situation semble se stabiliser fin décembre puis les activités chirurgicales électives reprennent en partie début janvier. Aux urgences l’activité s’inverse rapidement avec des gardes soutenues plutôt « non-COVID » et une persistance depuis le début de l’année de patients COVID hospitalisés chaque jour ou chaque deux jours avec une 20aine de patients COVID constamment hospitalisés depuis lors (figure 5) dans le RHNe. Les soins intensifs peuvent petit à petit revenir à une capacité habituelle tout en épiant dans les autres cantons et les pays limitrophes les signes d’une 3e vague qui ne semble pas se dessiner en Suisse début mai malgré un soubresaut dans la première 15aine de mars.
Prologue ?
La pandémie n’est pas terminée et de longs mois vont se passer encore avant que l’OMS n’en déclare la fin officielle, le virus devenant potentiellement endémique entre-temps. Souhaitons que nous puissions prendre du recul et de la hauteur de réflexion afin de nous préparer à la suite. Certes, nous avons pu gérer cette crise en particulier grâce à nos moyens humains, matériels et financiers mais il est aussi évident que nos structures ne sont pas adaptées au départ pour la prise en charge d’afflux de patients infectés. Un autre virus supérieurement létal et qui toucherait en premier lieu les enfants et jeunes adultes par exemple aurait fait des dégâts autrement plus important parmi les soignants et dans la société interconnectée dans laquelle nous vivons aujourd’hui, entrainant potentiellement un effondrement du système hospitalier, tel que ce qu’on peut voir en Inde actuellement.
Notre devoir, comme professionnels de la santé, sera de réfléchir et de déployer un système le plus résilient possible, pour utiliser un terme à la mode.
Le département des urgences du RHNe compte bien être force de proposition et d’action à l’avenir pour atteindre ce but.