Dr Vincent Della Santa | médecin-chef du département des urgences, RHNe | secrétaire général de l’AROMU
Département des urgences: quo vadis ?
Etat actuel de la médecine d’urgence en Suisse
Au contraire de la plupart des pays occidentaux (à l’exception notable de l’Allemagne) et malgré sa position indéniablement importante dans notre système de santé actuel (par exemple en cas de pandémie mondiale[1]), la médecine d’urgence n’a pas encore, en Suisse, accédé au rang de spécialité à part entière. N’étant pas attablé avec les « autres » spécialistes et donc dans l’incapacité de peser sur certaines décisions de politique de santé, sans possibilité de développer des filières de formation et de maintenir une attractivité pour les jeunes médecins, les urgentistes romands se sont auto-organisés en se regroupant dans une association (AROMU = Association Romande de Médecine d’Urgence) et en développant, dans les « murs » actuels et quelques peu étroits de l’ISFM (Institut Suisse pour la Formation Médicale postgraduée et continue), un curriculum de médecine d’urgence qui comprend l’obtention d’un FMH de médecine interne générale dont au minimum 6 mois de soins intensifs, une année d’anesthésie puis 2 ans de formation en médecine d’urgence (1 en centre régional / cantonal et 1 en universitaire) avec des modules de formations donnés au CHUV par les cadres des services d’urgences romands, un cours d’échographie d’urgence de base, des formations standards en réanimation (ACLS, ATLS, PALS) ainsi qu’une formation en médecine de catastrophe.
A la fin de ce curriculum le candidat passe un examen fédéral de médecine d’urgence en vue de l’obtention d’une Formation Approfondie Interdisciplinaire (= schwerpunkt) en médecine d’urgence hospitalière avec possiblement une Attestation de Formation Continue (AFC) en médecine d’urgence préhospitalière s’il pratique la médecine préhospitalière régulièrement (SMUR, REGA).
Grâce à un lent travail de motivation, suivi et mentorat de jeunes collègues intéressés, après un peu plus de 10 ans d’activité de l’association et 8 ans de mise en place du curriculum, des médecins internistes généralistes urgentistes arriveront en fin de formation post-graduée (qui est de 8 ans en moyenne) en 2021-2024 et constitueront un vivier de jeunes collègues motivés, polyvalents et bien formés à même de garnir les postes récemment attribués au département des urgences du RHNe pour, à terme, superviser les urgences des montagnes neuchâteloises 24/24h et 7/7 en soulageant en particulier nos collègues internistes et gériatres du site de CDF qui ont payé un lourd tribu à la pandémie actuelle en terme de fatigue, de stress et de gardes à rallonge.
Développement du département des urgences au RHNe
Le département des urgences nait en 2010 de la nécessité d’une coordination cantonale suite à la fusion des hôpitaux communaux publics et de la volonté des acteurs de terrain d’avancer ensemble vers une « professionnalisation » du métier de l’urgence grâce à la création en 2009 de la certification de médecin urgentiste hospitalier SSMUS (Société Suisse de Médecine d’Urgence et de Sauvetage) qui fait suite à la création, au niveau soignant, des experts en soins d’urgence. Il apparait assez vite qu’il semble inadéquat de laisser seuls les jeunes médecins en formation pendant de nombreuses heures chaque semaine aux urgences, même si les « astreintes » nombreuses pour les cadres de médecine interne, chirurgie et des urgences permettent une supervision à distance qui, à l’époque, était standard mais qui rapidement s’est révélée anachronique moralement et réglementairement (cf critères d’accréditation des centres d’urgences par la SSMUS pour la formation en médecine d’urgence hospitalière).
Ainsi, avec le soutien de nos directions médicales et générales successives il a été possible, dès début 2016, conjointement avec la centralisation des soins intensifs à Pourtalès, de superviser nos médecins juniors sur place aux urgences de Pourtalès 24h/24h. Parallèlement une réflexion du même type a lieu pour le site de la Chaux-de-Fonds et dans le projet HNE-demain, rejeté par la votation populaire, il était prévu de « staffer », à l’horizon 2019, les urgences de la Chaux-de-Fonds avec des médecins cadres superviseurs 24h/24h. La votation ayant rebattu les cartes pour différents services mais simplement ralenti notre programme aux urgences nous sommes repartis sur un projet de séniorisation des urgences de Chaux-de-Fonds qui reçoit finalement un feu vert politique récemment qui va nous permettre une augmentation de notre présence progressive sur 2 ans (2021-fin 2023) tout d’abord 7 jours sur 7, 365 jours par an de jour, puis 24h en semaine puis, in fine, 24h/24h et 7/7 probablement fin 2023, en fonction des recrutements de médecins urgentistes certifiés.
Mais que vont faire tous ces urgentistes ?
A terme le département des urgences bénéficiera d’une large équipe d’une vingtaine de médecins cadres. Ce chiffre semble impressionnant et il est clair que dans tous les pays dans lesquels la médecine d’urgence est « professionnalisée » la charge salariale pour les hôpitaux est importante, les services d’urgences, même dans les grands centres universitaires, n’étant pas rentables.
En plus du déploiement 24/24h à la Chaux-de-Fonds en intrahospitalier, le service extrahospitalier (ie le SMUR) connaitra aussi une séniorisation qui a déjà commencée et qui devrait permettre la présence de médecins en formation dans une proportion réduite (à terme 2-3 postes de médecins assistants sur 15 équivalents pleins temps actuellement pour les 3 pôles SMUR) afin de garantir au maximum une supervision des ces quelques jeunes dans nos SMURs et une augmentation des compétences des médecins SMUR parallèlement à l’augmentation de compétences déjà effective dans le milieu ambulancier.
La charge de garde, à hauteur de médecin cadre et lorsque le déploiement sera complet, représentera environ 35 jours de WE et fériés par an, 4 à 6 nuits, 4-6 soirs (jusqu’à 23h) ainsi que 4-5 astreintes de SMUR 2e ligne ou de médecine de catastrophe (piquet médecin-chef des secours) par mois, à savoir la même charge qu’actuellement, les 8.2 EPT octroyés permettant « simplement » de maintenir ce rythme que nous considérons comme soutenu.
Outre les récupérations de garde le reste du temps sera dévolu aux charges administratives, à la formation des personnels ambulanciers, infirmiers et médicaux. L’augmentation de l’équipe de médecin cadre permettra enfin la mise en place d’une véritable supervision de la qualité et sécurité dans nos services avec relecture des dossiers, appel des patients et médecins traitants et d’autres projets sécurité/ qualité pour l’instant en berne.
Le département est également engagé dans des projets de pédagogie médicale, de développement de certaines prestations de santé publique comme une unité de médecine des violences et désire augmenter largement son interface avec nos collègues « de ville » dans des projets d’amélioration de la coordination des soins.
« Last but not least » les médecins et infirmiers du département sont engagés depuis peu dans une réflexion sur nos pratiques dans un monde en crise. Crise climatique et plus largement environnementale et crise pandémique associée à une épidémie de malades chroniques dont la conjonction est appelée, par le rédacteur en chef du Lancet, Richard Horton , une « syndémie » dans un ouvrage récent[2] qui laisse présager d’un avenir à court terme dans lequel les professionnels de la santé au sens large auront à déconstruire leur pratique pour la reconstruire différemment et ensemble dans un environnement plus instable et un monde décroissant. L’organisation du département consolidée et équitable entre Haut et Bas permettra d’appréhender ces sujets avec plus de force et d’efficacité.
Conclusion
D’un point de la santé de la population en général, l’hôpital public et le département des urgences en particuliers, avec ses multiples ramifications, doivent servir d’une part de centre de référence grâce à une palette de spécialités mais également de filet de sécurité 24h/24h pour le tout venant.
Pour cela les citoyens de ce canton méritent, comme ailleurs, des prises en charge par des médecins et des personnels soignants qualifiés dont une des tâches maîtresses reste la formation des jeunes tout en garantissant une sécurité adaptée aux prises en charges médicales au 21e siècle.
Beaucoup de chantiers sont encore ouverts et l’avenir est préoccupant mais nous feront face, comme nous l’avons fait lors des deux premières vagues pandémiques.
[1] Heymann EP, Exadaktylos A. How the COVID-19 pandemic illustrated the importance of emergency medicine, and its vital role as a pillar of the healthcare system. Emergency Medicine Journal 2020; 37: 411.
[2] Richard Horton. The COVID-19 catastrophe : what’s gone wrong and how to stop it happening again. Polity Press, 2nd ed, feb 2021