Dre Zainab El Aatiq Augot | Médecin du travail
Vieillissement de la population active et travailleurs âgés
La suisse comme tous les autres pays d’Europe est confrontée au vieillissement de sa population active : En 2020, la tranche des 50 ans et plus représente 33.5 % de la population active.
Cette évolution démographique questionne de nombreux acteurs socio-économiques à la fois sur la productivité et le rendement des entreprises mais également sur la préservation de la santé de ces salariés.
Comment permettre à ces salariés de 50 ans et plus de continuer une activité professionnelle dans un monde du travail en perpétuelle évolution ? Une réponse se dessine naturellement, il faut leur assurer des conditions de travail adéquates et compatibles avec leur état de santé.
La recherche de solution est avant tout un travail collaboratif entre différents acteurs clés. Cette collaboration entre les médecins de famille, le médecin de travail, les différentes institutions externes (l’AI, les assurances perte de gain et accident, l’assistante sociale) se réalise bien sûr avec le salarié et son employeur. Ce travail est essentiel pour trouver des solutions afin d’atteindre l’objectif du maintien en activité dans de bonnes conditions du salarié rencontrant des problèmes de santé.
A partir de quel âge considère-t-on que les travailleurs sont vieillissants ?
On ne peut pas se baser uniquement sur l’âge réel d’un travailleur, pour évaluer ses capacités physiques et psychiques au travail. D’autres paramètres doivent objectivement être pris en compte. Il s’agit de prendre en considération l’âge biologique et psychologique, le parcours professionnel et les différentes activités professionnelles que le salarié a pu assurer
Le vieillissement des travailleurs a une double facette : vieillissement « naturel » sous l’action des facteurs internes, biologiques et vieillissement « produit » influencé par les facteurs externes à savoir l’environnement où l’on vit et surtout l’environnement du travail
Cet élargissement de la notion de l’âge est important car le vieillissement tant biologique que psychologique des travailleurs dépend en grande partie du contexte professionnel, et pas uniquement des conditions biologiques individuelles et de l’environnement personnel. Celui qui est exposé durant des années à une activité corporellement usante atteint son âge biologique de retraite plusieurs années avant celui qui jouit d’un poste de travail dépourvu de nuisances(2).
Avec l’âge certains travailleurs peuvent développer des maladies chroniques qui pourront entrainer des limitations fonctionnelles et ainsi altérer leur capacité au travail.
Les travailleurs âgés ont des activités dans différentes catégories professionnelles, ils assurent les mêmes tâches que les travailleurs plus jeunes. Ils bénéficient des mêmes horaires, des mêmes équipements de protection individuelle, et du même environnement du travail (ambiance sonore , thermiques, conditions ergonomiques etc. ).
Les exigences mentales ou physiques dans l’accomplissement des tâches sont également identiques à celles des autres travailleurs plus jeunes, alors que certaines études ont démontré que le vieillissement agit sur différentes fonctions physiologiques et psychologiques (3)
Les difficultés que ces salariés dits âgés peuvent rencontrer au cours de leur activité professionnelle sont liées aux exigences physiques de certains métiers (les efforts physiques, la cadence du rythme du travail, l’intensité des gestes répétitifs, etc.), aux organisations du travail (horaires atypiques, travail de nuit), à l’évolution rapide des technologies qui nécessite une adaptation physique et mentale ou encore la collaboration avec des travailleurs plus jeunes dont les valeurs du travail pourront être différentes.
Malgré ces obstacles que peuvent rencontrer les travailleurs dits âgés, ils ont une capacité notable à mettre en place des stratégies, qui leur permet une adaptation aux nouvelles exigences du travail.
Quel est le rôle du médecin de famille dans la préservation de la santé du salarié dit âgé ?
Le médecin de famille est le professionnel de santé le plus proche du patient. De cette proximité reposant sur la confiance, le médecin de famille connait mieux son état de santé, ses antécédents médicaux, personnels et familiaux. Il juge de la pertinence d’investigations nécessaires, des traitements adaptés, et des incapacités de travail, il connait le pronostic et l’évolution de la maladie de son patient
Au-delà de la connaissance de différentes pathologies dont souffre son patient, le médecin de famille pourrait également avoir un rôle important dans la détection et la prévention des maladies liés à l’activité professionnelle.
Parmi les obstacles auxquels pourrait être confronté le médecin de famille pour jouer son rôle dans la détection et la prévention des maladies liées à l’activité professionnelle, on peut évoquer la méconnaissance des différentes tâches exercées par le patient à son poste de travail, les différentes exigences physiques et psychiques que sollicitent ces tâches ainsi que son environnement du travail .
On sait que l’environnement du travail, l’organisation du travail et les risques et dangers au poste de travail sont des éléments qui pourront avoir des répercussions sur la santé du patient
Il est important que le médecin de famille mobilise le médecin du travail de l’entreprise de son patient et échange des informations avec ce dernier quand il identifie que les conditions du travail altèrent la santé de son patient.
Le médecin du travail de l’entreprise a quant à lui la capacité et la possibilité de se déplacer sur la place du travail pour analyser l’activité professionnelle du patient mais il ne connait pas nécessairement tous les antécédents personnels du salarié si ce dernier ne souhaite pas l’en informer, d’où l’importance des échanges entre médecin de famille et médecin du travail de l’entreprise, si le patient a donné son consentement.
Le médecin du travail ne fait pas partie de l’équipe des soignants qui prend en charge les soins du patient ce qui fait qu’il n’aura pas accès au DEP (art2 de la loi sur le DEP)
Le rôle du médecin du travail dans la préservation de la santé du travailleur âgé
Le médecin du travail a pour rôle la préservation de la santé physique et psychique du travailleur et il conseille l’employeur concernant les moyens de prévention à mettre en place pour l’amélioration des conditions de travail.
Lors des visites médicales, le médecin du travail se base sur ses connaissances médicales et également sur ses savoirs sur les effets délétères du travail, lors d’expositions aux différents risques professionnels (chimiques, physiques , psychiques et organisationnels) sur la santé.
Le médecin du travail est en mesure d’identifier les risques spécifiques au poste de travail en échangeant avec le patient et, le cas échéant, en se rendant sur la place de travail pour observer les activités réelles effectuées. Cette démarche nécessite l’autorisation de l’employeur quand le médecin du travail n’est pas mandaté par ce dernier. Le médecin du travail se situe donc à l’interface entre employeur, employé et médecin traitant afin de d’optimiser l’ensemble du processus de maintien au travail du travailleur âgé.
Le médecin du travail peut utiliser lors des visites médicales des questionnaires pour évaluer la capacité de travail comme le Work Ability Index par exemple(.4)
En cas de problèmes de santé liés aux conditions de travail, le médecin de famille pourrait demander une visite médicale auprès du médecin du travail de l’entreprise. Remarque importante, le médecin du travail, comme tout autre professionnel de la santé, est tenu au respect du secret médical. Il ne peut dès lors pas communiquer des informations médicales à l’employeur mais, avec le consentement de l’employé, il peut proposer des améliorations et conseiller l’employeur sur la mise en œuvre des bonnes pratiques. Notons tout de même que le médecin du travail n’est pas un inspecteur du travail et qu’à ce titre il ne peut pas imposer des mesures à l’entreprise.
En Suisse, l’ordonnance 3 relative à la loi sur le travail précise que l’employeur doit mener une enquête relevant de la médecine du travail lorsque des éléments font apparaître que l’activité exercée par un travailleur porte atteinte à sa santé.
Les difficultés rencontrées par les travailleurs âgés pour préserver leur emploi :
Pouvoir préserver son poste de travail pour un travailleur âgé dépend de plusieurs facteurs :
- La volonté de l’entreprise de garder le salarié en lui offrant des conditions de travail adaptées à son état de santé, par exemple en mettant en place des moyens organisationnels et des formations.
- L’absence de préjugés concernant les capacités du travailleur âgé à assurer ses tâches. Les travailleurs âgés sont souvent vus comme des personnes en mauvaise santé, peu motivées sur le plan professionnel, résistantes au changement, leur capacité d’apprentissage et d’adaptation sont également mises en cause ce qui se révèle faux selon les études et recherches sur les travailleurs vieillissants( 5)
Les travailleurs âgés sont aussi performants que les travailleurs jeunes car ils ont acquis des connaissances qui leur permettent de compenser certaines difficultés liées à l’évolution.
Aptitude au poste de travail
L’aptitude au poste de travail ne doit intervenir que si la poursuite de l’activité exercée n’expose pas le travailleur à un risque sérieux pour lui et/ou pour autrui. Elle atteste que l’état de santé du salarié, est compatible avec le travail et les tâches à effectuer. L’aptitude, qui peut-être permanente ou temporaire, peut-être assortie de conditions (aptitude conditionnelle).(6)
Les médecins de famille sont amenés à évaluer leur patient pour délivrer une aptitude pour certains postes de travail ou certaines activités spécifiques comme le travail de nuit
En ce qui concerne l’incapacité de travail, le médecin du travail n’a pas habilité à prescrire une incapacité de travail et il adressera le patient à son médecin de famille s’il constate que l’état de santé de ce dernier est dégradé suite à son activité professionnelle.
Les restrictions prononcées par le médecin de famille ou le spécialiste pour effectuer certaines tâches suite à des problèmes de santé doivent être respectées par l’employeur. Le médecin du travail de l’entreprise pourrait prendre contact avec le médecin de famille et avec l’employeur pour mettre en place des moyens qui permettront au patient de continuer son activité professionnelle sans risques pour sa santé. A savoir que parfois le maintien au travail d’un salarié vieillissant présentant des problèmes de santé pourrait être semé d’obstacles par manque d’un poste de travail moins pénible dans l’entreprise
En cas d’incapacité de travail, le retour au travail doit être anticipé, la collaboration avec les différents acteurs de santé, l’employeur, l’assurance maladie et accident, l’assurance invalidité et le salarié est importante.
Conclusion
Dans certaines situations, le travail peut être responsable de l’accélération ou de l’amplification des mécanismes de vieillissement, créant ainsi des phénomènes d’usure prématurés.
Le médecin du travail de l’entreprise et le médecin de famille doivent collaborer ensemble pour éviter l’altération de la santé du salarié suite aux mauvaises conditions de travail. L’employeur joue un rôle dans l’accompagnement du salarié lors de son parcours professionnel. Il doit mettre en place toutes les mesures pour le protéger contre les risques et dangers lors de l’exécution des différentes tâches inhérentes à son activité professionnelle
Des conditions de travail adaptées à l’âge d’un point de vue organisationnel, environnemental et physique seront bénéfiques pour préserver la santé et favoriser la pérennité du travailleur à sa place de travail..
Références
1. communiqué de presse du 28.10,2021,DFI, OFS
2. Rudolf Knutti: conditions de travail favorisant la santé des travailleurs âgés :dossier 63 novembre 2008 SGB/USS
3. MalchaireJ,BurnayN,BaeckmanL,LingerS. Evolution avec l’âge des capacités physiques, cognitives et sociales Synthèse :Vieillissement au travail .Réponses aux stéréotypes concernant le travailleur plus âgé. Bruxelles
4. Juhani Ilmarinen the work ability index March 2007,Occupational Medicine 57
5. volkoff S,MolinéA.F.Efficaces à tout âge ? Vieillissement démographique et activité de travail. Centre d’Etudes de l’emploi 2000 ;16 :1-126
6. incapacité ou inaptitude au travail guide à l’attention des médecins
Médecins âgé-e-s de plus de 70 ans
Dans le Canton de Neuchâtel, l’autorisation de pratiquer en tant que médecin est valable jusqu’à l’âge de 70 ans. Elle peut ensuite être renouvelée pour une période de trois ans, puis d’année en année jusqu’à l’âge de 80 ans (art. 57 al. 1 de la loi de santé ; LS ; RSN 800.1).
Pratiquement, il revient au et à la médecin de déposer sa demande de renouvellement à l’office des prestataires ambulatoires (OPAM), au moins deux mois avant son 70e anniversaire, accompagnée d’un certificat médical attestant de ses capacités psychique et physique à exercer son activité de médecin.
En cas de doutes sur l’aptitude du et de la médecin, l’OPAM peut demander des informations complémentaires, telles que la production d’un autre certificat médical – dans l’hypothèse où le premier émanait d’un-e collègue – ou le dépôt de résultats d’analyses. Dans ce cas, l’office collabore avec l’autorité de surveillance, c’est-à-dire le médecin cantonal.
S’agissant des médecins qui souhaiteraient reprendre leur activité après une interruption de plus de trois ans, ils et elles doivent pouvoir démontrer avoir suivi la formation continue nécessaire, peu importe leur âge (art. 70 al. 2 LS).
Manon Tendon, cheffe de l’office des prestataires ambulatoires, service cantonal de la santé publique