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Pedro Boto | Cherine Fahim | Lola Peris
Centre Neuchâtelois de Psychiatrie, Institut de formation et de recherche en santé mentale (IFRSM), Neuchâtel, Suisse

Impact de la période de confinement et de distanciation sociale en termes de symptomatologie anxieuse et activités quotidiennes chez les personnes âgées suivies par le Centre Neuchâtelois de Psychiatrie (CNP) par téléphone

La maladie à coronavirus 2019 (plus connue comme COVID-19, l’acronyme en anglais) est une maladie infectieuse causée par une souche de coronavirus appelée SARS-CoV-2. Le 11 mars 2020, l´épidémie est requalifiée en pandémie par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). La pandémie affecte de manière progressive tous les pays européens dont la Suisse devient une des nations la plus touchée par rapport au nombre d'habitants. Une réalité de crise au niveau des systèmes sanitaires est devenue un sujet central et motive un partage d’information concernant les mesures les plus adéquates (en temps et en attitudes concrètes).

Ces mêmes mesures ont drastiquement changé les routines journalières de millions de personnes. En Suisse, malgré la non-imposition d’un confinement général, le Conseil Fédéral a déclaré le 16 mars 2020 l’état de « situation extraordinaire » et a décidé des mesures uniformes : interdit les rassemblements de plus de 5 personnes, ferme les écoles et les commerces non essentiels, ferme partiellement les frontières. Des rappels pour ne pas sortir de la maison sont transmis à la population, sauf en situations particulières (travail si télétravail pas possible, aller chez le médecin ou la pharmacie, faire les courses ou aider un proche). Cet appel à la responsabilité civile est compris en pratique comme un « confinement nécessaire » et s’associe rapidement à des expressions comme « distanciation sociale » et « isolement ».

En effet, la surmortalité attribuable à la pandémie COVID-19 a entraîné des prises de décisions d’une ampleur inédite donnant lieu à des changements sociétaux importants. Des décisions pleines d’incertitudes, reflet de nos connaissances et méconnaissances, sur le virus lui-même, sa physiopathologie ou sa pathogenèse, sa dissémination ou sur les stratégies de riposte les plus efficaces.

À la lumière de ces décisions, nous vous présentons cet article qui s’intéresse aux conséquences des changements liées à la pandémie COVID-19 sur la vie quotidienne :  Impact de la période de confinement et de distanciation sociale en termes de symptomatologie anxieuse et activités quotidiennes auprès d’une population de personnes âgées suivies par le Centre Neuchâtelois de Psychiatrie (CNP) par téléphone. Nous nous interrogeons sur la façon dont la personne âgée peut ressentir ces changements et sa plus grande fragilité face à un univers sur lequel elle a moins de prise. Les questions se posent alors : que peut-on savoir du vécu des personnes âgées face à cette situation de plus grande vulnérabilité ? Quelles sont, surtout, les stratégies qu’elles s’efforcent alors d’adopter pour s’ajuster ; Quelles activités peuvent atténuer la symptomatologie anxieuse ? Est-ce que le contact téléphonique peut jouer un rôle ?

Dans ce cadre, nous nous intéressons à quantifier cet état chez la personne âgée au début de la pandémie et trois mois après l’arrêt des mesures de confinement/distanciation. La population cible consiste des personnes âgées >65 ans, suivis au Centre Thérapeutique de jour ainsi que de la consultation ambulatoire du CNP, ne présentant pas de signes/symptômes de phase aiguë ni d’autres problèmes de la santé pouvant empêcher leur collaboration. Nous avons pu interroger les 22 patients (10 hommes, 12 femmes). Les questionnaire individuel (sexe, âge, situation sociale et psychosociales) ont révélées qu’il n’y a pas de différence significative entre les participants.

Échelle STAI : L’outil de recueil de l’anxiété état-trait n’a pas révélé de résultat significatif avant (STAI_A_1) et après trois mois (STAI_A_2) de semi-confinement (Tableau 1). Nous n’avons pas observé de différence significative entre homme et femme concernant l’échelle d’anxiété. 

Tableau 1. Récapitulatif des résultats des échelles STAI, âge, N=22

Nous avons utilisé l’échelle STAI. Le STAI est un instrument d’auto-rapport pour mesurer l’anxiété. Il est composé de deux échelles (STAI-État et STAI-Trait) avec vingt items, qui évaluent respectivement les états d’anxiété temporaire (state anxiety), déterminés par une situation spécifique, et la plus durable dimension d’anxiété en tant que caractéristique de l’individu (trait anxiety). Nous avons choisi cet instrument (STAI-Y (State-trait anxiety invertory, forme Y) par ce qu’il offre une mesure solide et aisée de l’anxiété-trait (AT) et de l’anxiété-état (AE). Le score brut s’échelonne de 20 à 80 (cotation : 1 à 4 points). Un niveau élevé d’anxiété-trait est souvent associé à une multitude de pathologies somatiques telles que migraine, insomnie, asthme, risque de morbidité et de mortalité. Plus spécifiquement, l’inventaire d’anxiété trait-état STAI de Spielberger (State-Trait Anxiety Inventory 1983), est une échelle d’autoévaluation de l’anxiété qui comporte deux versions : anxiété trait et anxiété état. Le STAI permet de quantifier de façon indépendante l’anxiété actuelle au moment de la passation (anxiété état) et le tempérament anxieux habituel du sujet (anxiété trait), un score ≥ 40 est considéré comme pathologique. Il est composé de deux échelles (STAI-État et STAI-Trait) avec vingt items chacune selon le format 4 points-lickert, qui évaluent respectivement les états d’anxiété temporaire (state anxiety), déterminés par une situation spécifique, et la plus durable dimension d’anxiété en tant que caractéristique de l’individu (trait anxiety).

Tableau 2. Récapitulatif des résultats des échelles STAI selon le genre

Comment continuer à offrir les meilleurs soins aux patients âgées qui souffrent de problèmes psychiques durant cette période inédite ? Minimiser la détresse psychologique des patients âgées par un maintien attentif des liens thérapeutiques est notre but. Pour l’atteindre nous avons besoin de mieux comprendre leur état pendant cette pandémie. Ainsi, nous avons suivi nos patients par téléphone à raison de deux/trois fois par semaine selon la symptomatologie.

Entre angoisse et résilience, les patients du Centre Thérapeutique du Jour et de la Consultation Ambulatoire de l’âge avancée nous ont présenter leur vécu. Nous étions à l’écoute de leurs expériences de confinement et de distanciation sociale. Ces personnes savaient qu’elles sont isolées pour protéger leur santé physique, mais leur santé mentale, elle, est plongée dans l’incertitude. Certains développent de l'anxiété et une certaine détresse psychologique, d’autres de la résilience.

Tableau 3. Récapitulatif des résultats en pourcentages :

Afin de mesurer, analyser et connaître l’impact de la période de « confinement » et « distanciation sociale » liée à la pandémie COVID-19 nous avons adopté une approche de recueil d’information par téléphone concernant les activités quotidiennes : Nous avons évalué la perception subjective du temps accordé à différentes activités. Nous avons demandé si les personnes consacraient plus de temps, autant de temps, moins de temps à chaque activité sur la base d’une liste standardisé dans Excel. Situation sociale : vivant seul ou accompagné, Bénéficiant ou non d’aides à domicile (si oui, combien de fois/semaine) ; Niveau d’activité physique (par heures/jour ou semaine) ; Quantité d’heures par jour dédiées aux nouvelles/informations concernant la pandémie COVID-19 ; Connaître la prévalence subjective des troubles du sommeil, la durée et date de début ainsi que son évolution pendant la période de pandémie ; Évaluer la présence de sentiments de solitude (aggravés pendant la période de la pandémie ?) versus d’isolement, par ordre d’importance ; Connaître l’impression de limites dans sa liberté individuelle (l’individu ressent ou pas que sa liberté individuelle est affecté ?) ; Connaître l’impression d’un but collectif qui justifie la mise en place des mesures et conditions sociales (l’individu comprend-il/a-t-il l’impression que les mesures proposées sont dans un but collectif ?).

Nous avons évalué la perception subjective du temps accordé à différentes activités. Nous avons demandé si les personnes consacraient plus de temps, autant de temps, moins de temps à chaque activité sur la base d’une liste temps de média (regarder les nouvelles à la télévision), activités physiques ou autres activités (e.g., lire, tricoter, cuisiner, faire les mots croisés, etc..).

Tableau 4. Récapitulatif des résultats des activités quotidiennes selon genre

Sans doute notre étude dresse un panorama des réflexions : maintenir un contact téléphonique quotidien (nouvel étalon du soin psychique et de la télémédecine) avec les personnes âgées pour lutter contre leur isolement, connaître leurs besoins et promouvoir l’entraide de voisinage. Concernant par exemple des perspectives futures, le CNP planifie en cas d’une potentielle pandémie de faciliter la réactivité d’une solidarité de proximité dans les soins : Par exemple, des physiothérapeutes peuvent proposer des exercices de physiothérapie supervisés à distance ; les infirmiers des techniques relevant de la médecine complémentaire telles que la relaxation, hypnose, le tai-chi, le yoga, et même des séances de thérapie cognitivo-comportementale facilement accessibles via un smartphone.

La crise du Covid-19 marquera sans nul doute toutes les personnes qui l’auront vécue. En général, la solitude est un problème de santé publique important chez les aînés, ainsi nous avons opté par des contacts téléphoniques afin de relativement soulager cette solitude. En plus de soulager une source potentielle de souffrance, l'identification et le ciblage des interventions pour les aînés peuvent réduire considérablement les visites chez le médecin et les coûts des soins de santé. En effet, les relations sociales/résilience font partie intégrante du bien-être humain, et la recherche montre systématiquement que l'intégration sociale et le soutien (facteurs de résilience) ont des effets protecteurs sur la morbidité et la mortalité.

En conclusion, la présente étude a cherché à s’approcher au plus près des ressentis des personnes âgées du Centre Thérapeutique du Jour et de la Consultation Ambulatoire de l’âge avancée du CNP et de leurs difficultés à assurer leur bien-être quotidien. Nos recherches nous ont alors amené à utiliser deux inventaires de mesures d’anxiété STAI Y-A/B ainsi qu’un outil de recueil d’informations sur les activités quotidienne et le ressenti personnel des personnes âgées. Nous concluons que maintenir un contact téléphonique auprès des personnes âgées lors de leur semi-confinement avait un impact positif sur leur état psychique. En effet, puisque de nombreuses personnes âgées ne pouvaient plus maintenir leurs contacts familiaux ni sociaux comme d’habitude dans le contexte du COVID-19, nous avons opté pour un contact téléphonique qui rassure, sécurise et maintien le lien avec nos patients.

Références

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