Dr Dumeng Decosterd, Médecin-chef, service des soins intensifs , RHNe |
Montée en puissance des soins intensifs : intersites, interdisciplinaire et interprofessionnelle
Lorsque l’épidémie à SARS-CoV-2 touche l’Italie et s’y développe rapidement, le Tessin est le premier canton touché. Le reste de la Suisse se prépare à faire face au virus, et le RHNe se réorganise pour anticiper les besoins à venir : matériels, pharmacologiques, et surtout les ressources humaines nécessaires pour faire face au flux de patients COVID qui va se présenter. La question du nombre de lits de soins intensifs (SI) nécessaires est immédiate, et les retours de Chine et d’Italie identifient ce point comme crucial, les patients les plus critiques devant être ventilés dans des services spécialisés. En cas de manque de lits de ventilation, ils ne pourront pas survivre.
L’organisation du RHNe s’adapte à la situation, et des pôles sont créés pour gérer ce flux et les ressources. Les SI et l’Anesthésie formeront un pôle en charge de l’organisation du dispositif de lits ventilés, en étroit contact avec le pôle Médecine et Soins continus (SC) de La Chaux-de-Fonds (CDF). Alors que l’épidémie devient officiellement une pandémie le 12 mars, des échanges avec les intensivistes tessinois nous permettent de mieux nous rendre compte de l’ampleur de la tâche qui nous attend ; certains hôpitaux italiens ne trouvent pas de lits de SI pour des patients ayant dû être intubés aux urgences. Les stocks d’oxygène y seraient une des préoccupations. Au Tessin, le dispositif et le nombre de lits de SI ont déjà dû être revus à la hausse à plusieurs reprises. L’Italie avait environ deux semaines d’avance sur le Tessin. Au RHNe, nous avons probablement un délai identique pour mettre en place notre dispositif. Nous nous préparons à devoir faire des choix difficiles en cas de limitation ou de dépassement des capacités d’accueil aux SI. Pour repousser ce risque, nous devons déployer un dispositif capable de traiter un maximum de patients critiques ; dans des conditions certes dégradées, mais au plus proche des standards habituels.
Nous organisons conjointement (SI, Anesthésie et SC) une augmentation progressive du nombre de lits de Soins intensifs pouvant ventiler des patients COVID, mais sans oublier que les autres patients non COVID devront toujours être traités selon les mêmes standards et dans des flux séparés. Afin de préserver les SI d’un afflux de patients COVID sévères mais sans critères de soins intensifs, le département de Médecine reprend une unité de chirurgie et la dédie à la prise en charge de patients COVID par les pneumologues, jusqu’à ce qu’ils remplissent les critères de Soins intensifs. Dans un deuxième temps, cette équipe y développera la possibilité de pratiquer de la ventilation non invasive chez certains patients sélectionnés et de prendre en charge des patients trachéotomisés (ce qui ne sera finalement pas nécessaire).
Nous disposons habituellement de 10 lits de SI à Pourtalès (PRT) ainsi que du matériel et d’une dotation en personnel pouvant traiter 6 patients intubés et ventilés, les 4 autres patients étant des patients de SI non ventilés ou des patients de l’Unité Cérébrovasculaire (UCV) admis suite à un AVC aigu. Cette UCV est déplacée dans une unité de médecine avec une organisation médico-infirmière adaptée en conséquence. Cela nous permet de monter rapidement à 8 puis à 10 lits ventilés aux SI. Toutefois, le service des SI ne dispose que de deux chambres avec SAS. Afin de pouvoir prendre en charge des patients COVID sans mettre le personnel et les autres patients en danger, le flux d’air des soins intensifs est modifié par le service technique, afin de générer une pression négative dans toutes les chambres. Un sas est créé entre le desk infirmier et les chambres des patients, ce qui permet de réduire les risques de contamination du personnel.
En parallèle, l’activité opératoire non urgente est suspendue. La salle de réveil de PRT est réattribuée aux SI. Elle est mise en pression négative et des sas d’entrée et de sortie sont construits en 24h ; une 2ème unité de SI de 6 lits voit le jour, dédiée uniquement à des patients COVID. Au pic de la pandémie, deux salles d’opération seront encore transformées en une 3ème unité de SI de 5 lits, réservée aux patients non COVID avérés.
A CDF, les SC passent progressivement de 4 lits de soins intermédiaires à 10 lits de soins intensifs pouvant prendre en charge des patients COVID ou non COVID.
Nous ne manquons heureusement pas de ventilateurs, car le hasard a voulu que nous renouvelions l’ensemble des ventilateurs des SI début mars. Le bloc opératoire dispose de son côté de ventilateurs utilisables dans les nouvelles unités de soins intensifs qui y ont été créées. L’armée prête encore 4 ventilateurs aux SC de CDF, qui s’y ajoutent aux anciens ventilateurs des SI de PRT.
C’est donc le personnel qualifié qui est le principal facteur limitant pour exploiter ces lits…
- Sur le plan médical, le service d’anesthésie met à disposition 3 médecins cadres et 1 médecin externe pour renforcer l’équipe des SI de PRT, alors que des médecins anesthésistes des cliniques renforcent les SC de CDF. Une garde d’anesthésie dédiée aux patients COVID est mise en place sur les deux sites, appelable pour les intubations et les poses de cathéters. Des médecins intensivistes externes sont engagés, de même que d’anciens médecins cadres du service.
- Sur le plan infirmier, l’équipe des SI est renforcée par l’anesthésie et le bloc opératoire, ainsi que par un rappel d’anciens infirmiers spécialisés du service (dont une partie travaille ailleurs dans le RHNe, voire dans d’autres institutions). La mise en commun de ces compétences est rendue possible grâce à un encadrement et un accueil par l’équipe soignante des SI. Les vacances sont reportées et des jours non planifiés de travail sont ajoutés. Un énorme travail est abattu par les infirmiers cadres des SI, des SC et de l’anesthésie pour organiser le travail dans les nouvelles unités de SI et aux SC (personnel, locaux, matériel, médicaments), ce qui permet de mettre en place un dispositif de 31 lits ventilés, heureusement jamais saturé.
- D’autres professionnels ont contribué à la prise en charge des patients et ont travaillé d’arrache-pied au sein des SI et cela 7/7 : physiothérapeutes, ergothérapeutes, secrétaires sans oublier les diététiciennes, le personnel d’intendance, le département logistique, la pharmacie, les informaticiens... C’est grâce à la contribution de chacun d’entre eux que l’ensemble de ce dispositif a pu être construit et faire face.
Les patients admis aux SI étaient attendus au 5 à 8ème jour de l’apparition de la symptomatologie, ce qui s’est vérifié. Le bénéfice d’une ventilation en position ventrale s’est aussi confirmé, prestation qui a pu être assurée grâce à une collaboration étroite avec les physiothérapeutes et les ergothérapeutes. Par contre, la durée de ventilation mécanique était présumée de 7 à 10 jours, ce qui sous-estimait la réalité (certains patients sont restés ventilés plusieurs semaines). Les atteintes thromboemboliques ont été fréquentes, motivant une adaptation de la prophylaxie anti-thrombotique chez ces patients. Quelques patients ont nécessité une hémodialyse. Enfin, deux patients ont présenté un réveil tardif après environ 4 semaines, possiblement non lié à la seule accumulation de médicaments sédatifs et attribuable à une possible atteinte neurologique sur infection par SARS-CoV-2. Divers traitement anti-infectieux ont été administrés, en concertation avec les infectiologues et en suivant les algorithmes de traitement des centres universitaires, mais suite aux résultats des études publiées depuis le mois de mai, il a été décidé de ne plus administrer ces traitements à un patient COVID en dehors d’une étude clinique.
Durant cette vague épidémique, 42 patients COVID ont été admis aux SI de PRT, sans limitation d’accès aux lits de SI et toujours dans le cadre d’un projet thérapeutique individuel (la disponibilité en lits de SI ayant en tout temps été assurée). Sur les 11 patients décédés aux SI ou dans les suites du séjour, 5 l’ont été par limitation thérapeutique (pas d’intubation), et 5 autres par défaillance multiorganique et retrait thérapeutique après discussion avec les proches. Le 11ème est survenu après le transfert du patient en centre universitaire, une amélioration transitoire sous ECMO (circulation extra-corporelle) puis une nouvelle péjoration sur probable surinfection.
Il faut relever que c’est grâce aux mesures de santé publique prises au niveau sociétal et grâce à l’unité COVID mise en place en chirurgie que ce dispositif de lits de SI du RHNe n’a pas été dépassé. Le pic des hospitalisations de patients COVID s’est en effet aplati fin mars, ce qui a permis de prendre en charge les patients COVID sans limitation d’accès aux SI.
Pour le futur, le souhait est de ne pas suspendre l’activité opératoire en cas de recrudescence de l’épidémie. C’est pourquoi le dispositif mis en veille est différent de celui décrit ci-dessus. Désormais, les SI pourront si nécessaire passer de 10 à 13 lits si des patients COVID devaient réapparaitre ces prochaines semaines, les 3 lits supplémentaires étant prêt à être occupés (dans les locaux des Urgences, à proximité immédiate des SI de PRT). En cas de nouvelle vague pandémique, une coordination romande et nationale permettra d’identifier le besoin de lits de SI non seulement local, mais aussi régional et national. Le but étant d’éviter la réouverture de lits aux SC ou au bloc opératoire, afin de pouvoir poursuivre l’activité chirurgicale habituelle tant que cela reste possible.
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