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Stéphane Saillant, médecin-chef, département de psychiatrie générale et liaison, CNP.

COVID-19 : quid d’une vague d’effets psychologiques ?

La pandémie COVID-19 a créé un précédent sans commune mesure dans la vie quotidienne d’une grande partie de la population mondiale. Depuis la deuxième guerre mondiale, la population suisse n’a pas été confrontée à un type d’événement d’une telle ampleur. La situation est inédite à plus d’un titre : pandémie touchant une grande partie de la population, risque de débordement des structures sanitaires, urgence à trouver des moyens de contrer le virus. Quasiment du jour au lendemain, la population a découvert à la fois la dangerosité d’un virus inconnu et le phénomène du confinement mis en place par les autorités fédérales pour y faire face.

En préambule et compte tenu de la situation inédite actuelle, nous n’avons que très peu de données scientifiques validées à disposition et nous nous basons donc principalement sur l’expérience empirique que nous avons constatée d’une part sur le terrain et d’autre part par l’intermédiaire du dispositif cantonal d’aide psychologique mis en place dès la fin du mois de mars 2020 dans le canton de Neuchâtel.

Les conséquences psychiques de la crise sanitaire peuvent être réparties en deux catégories principales : d’une part en lien avec le virus lui-même et d’autre part en lien avec la question du confinement.

Symptômes liés au SARS-CoV-2

L’émergence du SARS-CoV-2 a provoqué des craintes importantes notamment celle d’être contaminée et celle des complications possibles (p.ex. ventilation invasive aux soins intensifs). Peu après la décision du semi-confinement par le Conseil Fédéral, nous avons assisté à une occupation de tout l’espace médiatique (médias traditionnels et réseaux sociaux) par la crise sanitaire, majorant une anxiété généralisée dans la population.  L’absence de réponses aux questions que se posait la population (due au fait de la méconnaissance du virus par le milieu médical et scientifique compte tenu de la situation inédite) n’a fait qu’accentuer les craintes et les peurs parfois fantasmées. L’apparition de nombreuses « fake news » (p.ex. le débordement des services d’urgence en Suisse romande) sur les réseaux sociaux en a également été une illustration frappante.

Deux phases distinctes de la « vague anxieuse » peuvent être identifiées. D’abord, une phase d’anticipation compte tenu des informations émanant de l’Italie et du Tessin et des craintes de la submersion par la vague épidémique. La vague épidémique était « attendue », ne sachant pas à quel moment elle allait survenir ; la question n’était pas tant de savoir si elle allait finalement arriver, mais plutôt « quand et comment ». Ensuite, lorsque la pandémie a touché la population suisse, l’anxiété a pris une tournure plus « réelle » et concrète, devant l’augmentation exponentielle du nombre de cas et des décès. Pour certaines personnes, le décompte quotidien (du nombre de cas et de décès) en est devenu une habitude tantôt rassurante tantôt angoissante, mais bien souvent omniprésente.

Concernant les symptômes psychologiques présentés par les patients atteints par le SARS-CoV-2, l’activité du service de psychiatrie de liaison du CNP, actif au sein des structures de soins somatiques de RHNE, a souvent été sollicité pour des symptômes anxio-dépressifs auprès des patients atteints. Plus rarement, des tableaux cliniques d’états confusionnels ont également été rapportés.

Effets psychiques du confinement

Les effets psychiques du confinement restent encore largement méconnus sur le plan scientifique, bien que quelques articles ont été récemment publiés[1] [2] [3], mettant en évidence des conséquences psychologiques, dont les principales sont une exacerbation des symptômes anxieux et dépressifs. Des troubles du sommeil ont également été rapportés par certains patients, parfois en lien avec des sentiments de « perte d’habitudes et de repères » face à la situation de confinement.

Alors que dans des situations de conflit ou de catastrophes naturelles, il a été constaté une sensible diminution des gestes suicidaires, nous n’avons à l’heure actuelle aucune donnée relative à la problématique suicidaire dans le contexte de la crise sanitaire. Nous constatons empiriquement que la problématique suicidaire tend à s’amplifier depuis quelques semaines, et notamment depuis le début du déconfinement. Il est probable qu’une partie de la population a souffert à « bas bruit », notamment en ce qui concerne la question suicidaire, sans consulter pendant la période du confinement. En effet, nous avons constaté une augmentation des patients se présentant aux urgences psychiatriques en raison de projets suicidaires relativement avancés en terme de planification, nous laissant penser que certains patients n’ont pas consulté pendant les prémices de la crise suicidaire et se présentent donc tardivement aux soins. A ce propos et confirmant cette problématique, un communiqué de presse du GRPS[4] et de l’association STOP SUICIDE[5] a été diffusé le 20 avril 2020[6] encourageant la population à ne pas rester isolée en cas d’idées suicidaires et à s’adresser aux structures de soins habituelles.

Des vécus de solitude et d’isolement ont été exprimés par une partie de la population, notamment des individus vivant seuls et se trouvant déjà isolés avant la crise sanitaire, notamment ceux qui étaient habitués à avoir des contacts sociaux fréquents et réguliers qui rythmaient leur quotidien. Les structures familiales semblent avoir vécu de manière différente le confinement, en fonction notamment du tissu psycho-social dans lequel elles sont insérées ; alors que certaines ont profité de la crise comme une occasion de se réunir et de profiter du temps ensemble, d’autres ont vu leurs difficultés interpersonnelles se péjorer du fait de la promiscuité. Enfin, les familles avec revenus modestes et conditions socio-économiques précaires risquent clairement de se précariser davantage avec la crise, engendrant possiblement dans les semaines et mois à venir des effets psychologiques dont nous n’avons probablement pas encore pris la mesure.

Impacts sur les structures de soins psychiatriques

Durant les 2-3 premières semaines du confinement (mi-mars 2020), les structures de soins psychiatriques (que ce soit les urgences psychiatriques ou les unités hospitalières) ont été désertées par les patients, à l’instar des autres services de soins somatiques « non-COVID ». Dès le début du mois d’avril 2020, les patients sont progressivement revenus dans les lieux de soins. En premier lieu, il s’agissait de patients souffrant déjà de troubles psychiques au long cours. A partir de la fin du mois d’avril et le début du mois de mai, des patients sans antécédents psychiatriques notables se sont présentés aux urgences avec des présentations cliniques marqués par un épuisement du confinement, en lien d’une part à l’anxiété générée par la situation et d’autre part en lien avec des difficultés relationnelles avec l’entourage. Les personnes vivant des difficultés interpersonnelles antérieures ont vu leurs conditions de vie se péjorées nettement durant la crise sanitaire. Enfin, le nombre d’hospitalisation en milieu psychiatrique a augmenté massivement depuis le début du mois de mai pour arriver à un niveau habituel, voir une légère surcharge dès la mi-mai 2020.

L’inconnu

En conclusion, nous n’avons pas encore conscience de l’impact psychologique global qu’aura provoqué la pandémie actuelle. Nous en saurons probablement plus dans quelques mois et de nombreuses études ont été initiées à ce sujet. Nous devons rester vigilants face à la santé psychique de nos concitoyens et ajuster si besoin nos dispositifs de soins à cette nouvelle donnée que représente le SARS-CoV-2.

L’inconnu et l’incertitude ont marqué nos esprits lors de ces dernières semaines. Le psychisme humain ne tolère que très difficilement de « ne pas savoir » ou de « ne pas avoir de réponses » aux questions posées. Plusieurs enseignements peuvent en être tirés ; d’abord celui que nous serons bien obligés de vivre encore longtemps avec une certaine dose d’incertitude, condamnés à l’apprivoiser si la société souhaite tendre à un « retour à la normale ». Enfin, cette pandémie nous confronte brutalement à nos vulnérabilités existentielles et nous oblige à adopter une posture d’humilité nécessaire à la gestion de ce type de crise.


[1] Mengin A, Allé MC, Rolling J, Ligier F, Schroder C, Lalanne L, et al. Psychopathological consequences of confinement. L'Encephale. 2020:S0013-7006(20)30075-0.

[2] Carvalho P, Moreira MM, de Oliveira MNA, Landim JMM, Neto MLR. The psychiatric impact of the novel coronavirus outbreak. Psychiatry research. 2020;286:112902.

[3] Brooks SK, Webster RK, Smith LE, Woodland L, Wessely S, Greenberg N, et al. The psychological impact of quarantine and how to reduce it: rapid review of the evidence. The Lancet. 2020.

[4] Groupe Romand Prévention Suicide

[5] https://stopsuicide.ch/  et https://preventionsuicide-romandie.ch/

[6] https://stopsuicide.ch/wp-content/uploads/2020/04/Communiqué_GRPS_STOP_SUICIDE_Prévention-du-suicide-et-Covid-19.pdf